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Max Göldi | LA VENGEANCE DE KADHAFI – D’après le journal d’un otage | WÖRTERSEH

 
Nous remercions la Fondation Ernst Göhner pour le soutien amical de cette traduction française.

Tous droits réservés, y compris sur l’impression partielle et la reproduction électronique.

© 2019 Wörterseh, Lachen, Suisse

L’édition originale allemande reliée avec jaquette a été publiée en 2018

Traduction et relecture : Catherine Modai et Patrick Samuël
Correcteur : Patrick Marcovici
Relecture juridique : Dr. Georg Gremmelspacher, avocat
Photo de couverture : www.shutterstock.com
Photos au dos de la couverture (archives privées) : en haut, de gauche à droite – Max Göldi avec sa mère à l’aéroport de Zurich, le 14 juin 2010, le jour de son retour ; Max Göldi avec Rachid Hamdani devant l’ambassade de Suisse en Libye, le 9 décembre 2009 ; Max Göldi à l’aéroport de Zurich le jour de son retour ; en bas – l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz avec Mouammar Kadhafi, lors de la réunion le 23 septembre 2009 à New York
Couverture : Thomas Jarzina
Mise en page et typographie : Beate Simson
Impression et reliure : CPI – Ebner & Spiegel

ISBN broché 978-3-03763-113-3
ISBN e-book 978-3-03763-777-7

www.woerterseh.ch

 

Ce livre est basé sur mes notes de journal.
Certains noms ont été changés pour des raisons de protection de la personnalité. Ils figurent dans le texte et dans l’index à la fin du livre.

 

Table

À propos du livre

À propos de l’auteur

Commentaire sur l’orthographe des noms arabes

Prologue

« Œil pour œil, dent pour dent »

Dans le collimateur du clan Kadhafi

Hospitalité arabe

Communauté résidentielle à l’ambassade

Négociations sans fin

Plan B

Espoir d’une percée à Davos

La désertion du Consul

Attaché de défense en mission secrète

Tourbillon médiatique

Le voyage de Madame à Tripoli

Home alone

Le projet « évasion-mer »

Visite éclair du Président de la Confédération

« Coup » des millions et autres aberrations

Genève nous livre à nouveau en sacrifice

L’enlèvement

Décisions judiciaires selon le scénario prévu

Bougies virtuelles

Médiation de l’Allemagne

Simulacre de procès kafkaïen

Escalade de la guerre des visas

L’ultimatum

Le triomphe d’Hannibal

À la prison de Jdeida

Les exécutions

Le dernier acte

Épilogue

Sort du régime Kadhafi

Remerciements

Index des personnes

Index des abréviations

Cartes de la Libye et de Tripoli

 

À propos du livre

Le 15 juillet 2008, Hannibal Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen de l’époque, est temporairement arrêté à Genève avec sa femme. Tous deux sont accusés de maltraitance envers leurs domestiques. Le clan Kadhafi voit ainsi son honneur familial bafoué et entame une vendetta acharnée contre la Suisse qui durera deux ans et restera dans l’histoire comme la « crise libyenne ». En représailles et pour forcer le gouvernement suisse à faire des concessions, le régime libyen prend deux hommes en otage : le Suisse Max Göldi, alors âgé de 53 ans, ingénieur pour la compagnie ABB en Libye, et Rachid Hamdani, âgé de 67 ans, de double nationalité suisse-tunisienne, à la tête d’une entreprise en Libye. Dans son livre, Max Göldi raconte les erreurs commises et les situations confuses et difficiles, stressantes, et complètement absurdes pendant sa détention. De faux espoirs en grandes angoisses, il a dû s’adapter constamment à l’évolution des circonstances de son emprisonnement pour sa survie dans les prisons libyennes, l’isolement cellulaire, les demandes de rançon, le despotisme et les procès kafkaïens. Il nous fait découvrir des plans d’évasion, se souvient de congénères malfaisants, de fonctionnaires débordés, de médiateurs éblouissants et de diplomates inébranlables. C’est ainsi qu’il atterrit en Suisse le 14 juin 2010, accompagné de la ministre des affaires étrangères de l’époque, Micheline Calmy-Rey, et qu’il peut enfin embrasser à nouveau son épouse.

Traduction initiale en français du bestseller numéro 1 (plus de 6000 exemplaires vendus)

Photos (archives privées) : de gauche à droite – Max Göldi avec sa mère à l’aéroport de Zurich, le 14 juin 2010, le jour de son retour ; Max Göldi avec Rachid Hamdani devant l’ambassade de Suisse en Libye, le 9 décembre 2009 ; Max Göldi à l’aéroport de Zurich le jour de son retour
« À l’automne de mon année présidentielle 2009, j’ai rencontré Mouammar Kadhafi à new York, après m’être rendu à Tripoli pour libérer les otages suisses Max Göldi et Rachid Hamdani détenus par le régime libyen. Cette prise d’otages a été très éprouvante pour la Suisse officielle, mais surtout, bien sûr, pour leurs proches et eux-mêmes. Ils étaient impuissants, à la merci de la situation, souffrant corps et âme. Aujourd’hui, presque dix ans plus tard, la lecture des notes de Max Göldi est non seulement bouleversante pour moi, mais m’éclaire aussi à bien des égards. Son livre, plus qu’une réévaluation de la crise libyenne, est l’histoire d’un homme qui a toujours refusé d’être une victime. »

Hans-Rudolf Merz, ancien conseiller fédéral

Photo (archives privées) : l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz avec Mouammar Kadhafi, lors de la réunion le 23 septembre 2009 à New York
 

À propos de l’auteur

Max Göldi
© Wörterseh

Né en 1955, Max Göldi grandit en Suisse. Après son apprentissage d’électronicien et son diplôme d’informaticien, il travaille pour le groupe technologique mondial ABB, non seulement en Suisse, mais aussi à divers postes à l’étranger tel que l’Irak, le Pakistan, le Canada, la Chine, la Libye et le Japon, pays d’origine de son épouse. Au cours de sa mission en tant que directeur national d’ABB pour la Libye, il est pris en otage par le clan Kadhafi pendant près de deux ans. Aujourd’hui, il est retraité et vit en Asie.

« J’admire Max Göldi qui a eu la force et le courage d’imprimer les péripéties et les souffrances vécues pendant la durée de sa longue et injuste détention comme otage. Par le récit minutieux de sa vie quotidienne, il nous fait part des différents enjeux politiques, économiques et humains, des évènements qui ont agité les relations nationales et internationales au plus haut niveau. Le soutien de nos autorités fédérales, des ONG, des médias nationales et internationales, de la population, de personnes libyennes, ainsi que de dignitaires étrangers, ont été d’un grand réconfort pour nous deux et nos familles en Suisse. Reste une solide amitié née de cette épreuve commune. »

Rachid Hamdani, compagnon d’otage et ami de Max Göldi

 

Commentaire sur l’orthographe des noms arabes

Il n’existe pas de règles universelles sur la façon d’écrire un mot arabe en alphabet latin. C’est pourquoi, il existe des orthographes très différentes pour les noms de personnes, de lieux ou de rues en arabe. Le nom de famille Kadhafi s’écrit aussi Ghaddhafi, Ghadhafi, Ghadafi, Qadhafi, Gaddafi ou al-Gaddafi.

 

Prologue

Le 15 juillet 2008, Hannibal Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, dictateur libyen depuis près de quarante ans, a été arrêté à Genève. En représailles et pour faire pression sur le Gouvernement suisse, le régime libyen nous a maintenus en captivité en Libye, moi et un autre citoyen suisse, pendant près de deux ans.

Pour la Suisse, cette crise dite libyenne a probablement été l’un des plus grands défis de politique étrangère des dernières décennies. Les médias suisses en ont parlé en détail et parfois avec beaucoup d’émotion, mais pour diverses raisons, certains faits intéressants de cet étrange conflit interétatique n’ont jamais été dévoilés publiquement. Les groupes d’intérêts non libyens (les autorités du canton de Genève, le Département fédéral des affaires étrangères, les otages et leurs familles, mon employeur, la presse, et cetera) ont tous plusieurs pièces du puzzle de cette crise diplomatique complexe, mais personne ne peut le reconstituer complètement.

En décembre 2010, la Commission de gestion du Conseil des États (la « petite chambre » du Parlement suisse) a publié un rapport intéressant intitulé « Comportement des autorités fédérales dans la crise diplomatique entre la Suisse et la Libye », mais elle n’analyse que certains aspects.

Étant directement concerné, je détiens beaucoup d’informations. J’ai beaucoup appris lors de discussions personnelles, en particulier avec des diplomates suisses. Pendant toute la crise libyenne où je suis resté coincé à Tripoli, je n’ai eu qu’un aperçu indirect des événements qui ont eu lieu dans d’autres lieux importants (Berne, Genève, Berlin, et cetera). Il serait présomptueux de prétendre que ce livre décrit la crise de manière exhaustive, mais il peut certainement combler certaines lacunes de ce puzzle. Mes journaux intimes complets et très détaillés, que j’ai rédigés à cette époque, forment la base de cette publication. En outre, j’ai inclus – en caractères sans empattement – de la correspondance personnelle et certains documents accessibles au public.

À mon adolescence, je ressentais déjà une grande envie de voyager. L’exotisme des pays lointains me fascinait et m’attirait comme par magie. ABB, l’un des principaux groupes technologiques mondiaux dont le siège social se trouve en Suisse, m’a permis d’occuper divers postes loin de l’Europe tout au long de ma carrière. J’ai, entre autres, exercé dans des pays qui ne figurent pas dans les brochures de vacances habituelles, comme l’Irak, le Pakistan, l’Algérie et l’Arabie saoudite.

Au milieu de l’année 2007, j’ai été nommé responsable local pour la Libye par ABB. En particulier parce que le pays était considéré comme difficile à presque tous les égards, cette position me semblait être un bon défi à relever. Ma femme m’a suivi sans hésitation à Tripoli. Nous étions conscients que vivre et travailler en Libye ne serait pas facile, mais nous avions déjà eu l’expérience de vivre dans plusieurs pays troubles. Les premiers mois ont été plutôt pénibles, même les courses les plus simples nécessitaient souvent beaucoup de patience et d’énergie, et nous avons dû subir des revers à maintes reprises, tant dans notre vie privée que professionnelle. Mais après avoir vécu en Libye pendant un an, nous étions assez bien équipés et organisés, et nous avons eu nos premiers succès en affaires. À ce moment-là, je n’aurais jamais pu imaginer que je serais bientôt au centre d’un grave conflit entre la Libye et la Suisse.

D’innombrables personnes de diverses organisations gouvernementales et non gouvernementales, de Suisse et d’autres pays, certaines que j’ai rencontrées personnellement, d’autres qui m’étaient inconnues et qui ont apporté leur contribution en arrière-plan, m’ont aidé à rentrer chez moi sain et sauf. Beaucoup d’amis et de connaissances m’ont soutenu, moi et ma famille, de bien des façons en cette période de peur et d’incertitude. Je ne peux les énumérer ici, mais je leur dois à tous une grande reconnaissance.

Ma femme, ma mère – mon père est déjà mort à cette époque – mes deux frères Moritz et Christian ainsi que ma sœur Margrith ont beaucoup souffert durant les vingt-trois mois de ma prise d’otage, probablement même plus que moi. Eux aussi ont dû faire face aux nombreuses et étranges épreuves et tribulations de cette tragédie, le plus souvent impuissants. Mais ils n’ont négligé aucun détail et n’ont ménagé aucun effort pour promouvoir la recherche d’une solution et améliorer ma situation. Je leur en suis profondément reconnaissant.

 

« Œil pour œil, dent pour dent »

Début juillet 2008, Hannibal Kadhafi, fils du dictateur libyen Mouammar Kadhafi, se rend à Genève avec son épouse Aline, leur fils de trois ans, deux domestiques et deux gardes du corps. Les Kadhafi emménagent dans deux suites à l’hôtel President Wilson. Aline, enceinte, va bientôt donner naissance à son deuxième enfant dans une clinique à Genève.

Le 12 juillet 2008, les deux employés de maison d’Hannibal et d’Aline portent plainte à Genève contre leurs employeurs pour agression physique, privation de liberté et enlèvement ainsi que pour menaces et contraintes. À partir de ce moment, ils ne retourneront plus à l’hôtel President Wilson.

Dans la matinée du 15 juillet, le commissaire de police en fonction et le Parquet de Genève décident conjointement de donner deux « mandats d’amener » contre le couple Kadhafi. En fin de matinée, tous deux sont arrêtés dans leur suite par un important contingent de la police genevoise. Hannibal est placé en détention provisoire alors que sa femme Aline, en raison du stade avancé de sa grossesse, est placée en état d’arrestation dans un hôpital.

Le 16 juillet, le juge d’instruction de Genève ouvre une procédure pénale contre le couple Kadhafi pour agression physique, menaces et contraintes.

Le 17 juillet, le juge d’instruction de Genève ordonne la libération provisoire du couple sous caution. Le dépôt de garantie pour Hannibal est fixé à 200 000 francs suisses et celui d’Aline à 300 000 francs suisses. Le couple Kadhafi quitte la Suisse le même jour.

Aïcha Kadhafi, la sœur d’Hannibal, arrive alors à Genève pour aider son frère. Elle fait une déclaration à l’hôtel President Wilson annonçant des représailles pour l’arrestation de son frère et menace littéralement « œil pour œil, dent pour dent ». À ce moment, peu d’experts du régime Kadhafi réalisent qu’il s’agit d’une déclaration de guerre contre la Suisse.

 

Dans le collimateur du clan Kadhafi

Samedi 19 juillet 2008

Ahmed Sharata, mon adjoint, m’informe par téléphone que l’autorité d’enregistrement de la société se rendra à notre bureau ABB à Tripoli pour une réunion importante à treize heures. Les visites à domicile de cette autorité sont tout à fait inhabituelles. De plus, c’est le week-end et leurs bureaux sont en principe fermés aujourd’hui. Que peut-il y avoir de si urgent ? L’an dernier, nous avions eu des contacts intensifs avec cette autorité pour l’enregistrement d’un bureau de représentation (en anglais « representative office ») pour le groupe ABB, ainsi que de longues négociations pour l’ouverture d’une filiale ABB Italie.

Ahmed Sharata et Shebani Hadi1, responsable du « contact avec les autorités » dans mon équipe, m’attendent déjà alors que je me rends au bureau d’ABB. Trois représentants des autorités arrivent à l’heure. C’est très étonnant, car la ponctualité est un mot étranger en Libye. Deux d’entre eux portent l’uniforme, le dernier est en civil. Ils présentent une liste de cinq documents que nous sommes censés avoir pour gérer notre bureau de représentation. Ahmed et Shebani Hadi peuvent soumettre quatre des documents requis, mais le cinquième leur est totalement inconnu et donc non disponible. Le fonctionnaire en civil n’est pas du tout surpris que nous n’ayons pas le cinquième document, c’est exactement ce à quoi il s’attendait. Il nous informe que puisque nous n’avons pas tous les permis nécessaires, il doit immédiatement fermer notre bureau et nous ne pourrons plus rentrer dans le bâtiment. Heureusement, il me laisse prendre mon carnet et quelques documents dans mon bureau avant de sceller la porte d’entrée principale.

Nous sommes plutôt surpris et perplexes. Ahmed, mon adjoint, soupçonne que la fermeture est liée à l’arrestation d’Hannibal à Genève. Est-ce vraiment pour cela que le bureau de représentation d’ABB a été fermé ? Aujourd’hui, nous ne pouvons rien faire de plus, alors je n’ai pas d’autre choix que de rentrer chez moi. J’en informe Liliana Pescini, le Vice-Consul suisse en Libye, et Gian Francesco Imperiali, mon supérieur direct qui a son bureau à Milan. Je préviens également divers collègues d’ABB qui travaillent en Libye ou qui ont d’autres relations d’affaires avec la Libye.

À dix heures du soir, on sonne à ma porte. Une voiture de police et trois agents de l’autorité d’immigration sont devant le portail. Ils me demandent de les suivre pour un interrogatoire. À cette heure tardive ? Il est vrai que les Libyens sont de vrais oiseaux de nuit, beaucoup de choses se font tard le soir et nous avons déjà eu des réunions avec des clients au milieu de la nuit. Arrivé devant le portail du jardin, j’appelle le Consul suisse, Frédéric Schneider2. Il ne peut m’être d’aucun secours, mais permet à Hassan, le traducteur de l’ambassade, de parler à la police. J’appelle alors Ahmed Sharata et lui demande de négocier avec les policiers. Ils ne veulent rien entendre et s’impatientent. Il n’y a vraiment rien que je puisse faire, et je dois les suivre. Je me change, prends mon passeport comme ils me l’ont demandé, puis je dis au revoir à Yasuko, ma femme.

Nous nous rendons en voiture à un poste de police de l’immigration près de la vieille ville. J’appelle Ahmed, il sait où l’on m’emmène et il est déjà là quand nous arrivons. Heureusement, au moins quelqu’un sait où je suis ! Ahmed n’est pas autorisé à entrer dans les locaux du poste de police. Les flics m’ont laissé attendre dans la voiture pendant une heure avant de me faire entrer dans l’immeuble. Là, je dois remettre mon passeport. On me demande le nom de mon père, de ma mère, de mon grand-père, ma date d’entrée en Libye, l’adresse où je travaille et cetera. Après l’interrogatoire, je dois déposer mon téléphone portable et ma ceinture, puis on m’emmène dans une cellule. La lumière est allumée, un climatiseur est en marche, et il y a quatre cadres de lit en métal sur lesquels reposent de minces matelas. Trois des lits sont déjà occupés. Deux des prisonniers dorment, le troisième est réveillé et très bavard. Il est originaire de l’Inde et travaille pour la société genevoise P & S Products and Services SA qui vend du matériel médical. Cette société a également été fermée aujourd’hui par les autorités libyennes. L’Indien dit que ses deux compagnons de cellule travaillent aussi pour des entreprises suisses. L’un est bulgare et travaille comme gardien, l’autre a la double nationalité tunisienne-suisse et s’appelle Rachid Hamdani. Ahmed avait probablement raison, il semble bien que les fermetures des compagnies et les arrestations aient quelque chose à voir avec l’arrestation d’Hannibal à Genève. Les relations entre la Suisse et la Libye ont été bonnes ces dernières années et je suis persuadé que la Suisse prendra immédiatement les mesures nécessaires pour apaiser les Libyens en colère au plus vite.

Dimanche 20 juillet 2008

J’ai dormi un peu, bien que le lit soit affaissé et qu’il fasse plutôt froid. On a le droit d’utiliser les toilettes à côté de notre cellule. À dix heures, mon compagnon de cellule Rachid Hamdani et moi-même sommes emmenés pour un interrogatoire. Rachid récupère sa ceinture, la mienne est introuvable. On part aussitôt. Devant le poste de police se trouve Ahmed. Ce bon vieil Ahmed ! Sa présence me donne du courage dans cette situation. Je peux juste lui dire qu’on va voir le juge. En fait, nous nous rendons dans un autre poste de police, ils ne veulent rien avoir à faire avec nous ici.

Les policiers ne savent pas quoi faire de nous, et au bout d’une heure environ, nous repartons. Rachid s’avère d’une grande aide car il peut traduire de l’arabe vers l’anglais et me tenir au courant. Notre prochaine destination est un palais de justice pour « les petites affaires », comme dit Rachid. Des petites affaires ? D’une certaine manière cela semble plutôt rassurant ! Une fois là-bas et après une longue attente dans le couloir, des personnes de l’entourage de Rachid arrivent : Nadia, l’épouse du neveu de Rachid, Sami, un employé de la société libyenne de Rachid et l’avocat de cette société. L’associé de Rachid est Jean-Miguel Stucky, un homme d’affaires vaudois.

Que les relations de Rachid nous aient retrouvés me semble être un petit miracle, car Ahmed a apparemment perdu notre trace entre-temps. Je demande à Nadia d’appeler l’ambassade de Suisse et de leur dire où nous sommes. Puis Rachid et moi sommes emmenés dans une grande cellule avec un peu plus de dix prisonniers. C’est très sale et il y a très peu de places assises. Certains des camarades de cellule ont apparemment été impliqués dans un accident ou une mauvaise bagarre car ils ont des bandages sur la tête, portent des vêtements tachés de sang et tiennent des radiographies et des sacs de médicaments dans leurs mains. Dieu merci, après une heure, on vient nous chercher. Apparemment, ce « Tribunal des petites affaires » ne se sent pas responsable de nous non plus.

Nous nous rendons chez un juge près du rond-point de Gargaresh, à l’ouest de la ville. Contre toute attente, Nadia nous apporte à manger, mais nous n’avons pas faim. Nous convenons que l’avocat de Rachid me représentera également au Tribunal. Mais on en n’est pas encore là, car il est déjà quinze heures, l’heure de fermeture. Nous retournons donc à notre ancien poste de police. Rachid est démoralisé.

De retour dans notre cellule, nous trouvons un cinquième codétenu. C’est un Libyen qui travaille pour Luc Tissot. Je connais Luc, issu de la famille fondatrice de la célèbre marque horlogère suisse Tissot. Encore une fois, une entreprise suisse fermée et scellée et l’employé arrêté ! Mais le soir, le Libyen est emmené, et donc aucun de nous n’a à partager son lit avec lui. Rachid est très déprimé. Heureusement, je peux dormir un peu.

Lundi 21 juillet 2008

Les policiers nous font attendre longtemps avant d’être enfin autorisés à aller aux toilettes l’un après l’autre. À dix heures, ça recommence pour Rachid et moi, nous partons à nouveau chez le juge du rond-point de Gargaresh ! Une fois sur place, les membres de la famille tunisienne de Rachid et son avocat arrivent. Peu après, Ahmed, mon adjoint, arrive aussi, accompagné de Nour Salam3, l’avocat d’ABB. En attendant, le Consul suisse Frédéric Schneider et Yasuko arrivent. Nous ne pouvons parler qu’un instant, mais ma femme semble calme. Elle vit à l’ambassade avec tous les autres Suisses depuis samedi soir.

L’avocat d’ABB Nour Salam et moi-même sommes d’abord admis devant le juge. La télévision est allumée. Un téléviseur dans un bureau libyen montre l’importance de la personne. Regarder des dessins animés pendant les réunions n’a rien d’inhabituel ici. Comme je ne parle pas arabe, l’audience est interrompue et le cas de Rachid est avancé. Pendant ce temps, Salam demande à Ahmed de lui fournir les documents d’enregistrement de la société, et je demande à Yasuko de ramener un dossier spécifique de documents commerciaux qui se trouve à la maison.

Lorsque Salam et moi sommes convoqués de nouveau devant le juge, une jeune traductrice, une deuxième jeune femme et un greffier sont aussi présents. La télé est toujours allumée. L’entretien commence par l’enregistrement des données personnelles de toutes les personnes présentes. Ensuite, on me demande ma date d’entrée en Libye, ma profession, et cetera. On m’interroge également sur le nom des entreprises de mes clients et sur ce qu’ABB fait exactement en Libye. Je déclare qu’ABB a toutes les approbations nécessaires pour la représentation et nous fournissons une copie de la « décision 174 » à titre de preuve. Il s’agit du permis d’exploitation qui nous a été délivré par le Ministère responsable.

À la fin de l’audience, on me dit que j’ai enfreint les lois sur l’immigration. De plus, ABB n’a pas d’enregistrement valide de la société et les taxes n’ont pas été payées correctement. Ai-je quelque chose à dire à ce sujet ? Eh bien ! Ces accusations sont non seulement sévères, mais aussi complètement « tirées par les cheveux ». Bien sûr, je ne peux m’exprimer de cette façon. « Je ne suis au courant d’aucune infraction, et mon visa est correct pour l’activité que j’exerce, » dis-je. Salam ajoute quelque chose en arabe, puis nous quittons le bureau.

Ahmed m’a apporté des vêtements et des articles de toilette. Je change mes sous-vêtements et ma chemise et je range ma brosse à dents, le dentifrice et ma serviette. Au bout d’une heure, nous sommes convoqués avec nos avocats pour entendre la sentence. Le juge n’est pas présent, c’est la pagaille et je ne comprends pas exactement ce qui se dit, mais le verdict pour Rachid et moi est apparemment de quatre jours de prison. Je dis au revoir à Salam et Ahmed, et je peux appeler brièvement Frédéric pour le ternir informé des évènements. Puis nous partons en voiture de police jusqu’au « centre d’enregistrement ». D’abord, on me donne un numéro de prisonnier. Ensuite, on me fait une prise sang, on me prend en photo (sans lunettes, mais avec mon numéro de prisonnier) et enfin on relève mes empreintes digitales.

Puis nous sommes conduits à la prison Ainsarah dans le district du même nom. Il y a là deux prisons dont une pour les prisonniers politiques qu’il vaut mieux éviter. Heureusement, ils nous envoient dans l’autre prison.

Une fois sur place, nous devons remettre notre argent, je triche un peu en gardant cinquante dinars, soit une cinquantaine de francs suisses. On ne sait jamais, un peu d’argent peut toujours être utile. On est censés être amenés devant le directeur, mais ça ne sera pas le cas. J’entends soudain la sonnerie reconnaissable du portable d’Ahmed dans la pièce voisine. C’est bien Ahmed, accompagné de Shebani Hadi ! Apparemment, Shebani Hadi a un parent dans l’administration pénitentiaire, ce qui s’avère évidemment très utile. Ils essaient de me donner du courage. Je suis content qu’ils sachent où je suis aussi. Ahmed a apporté cinq pizzas.

Peu après, Rachid et moi sommes emmenés au « hangar ». Ce « hangar » est une caserne d’un étage avec une seule grande pièce, probablement destinée à soixante détenus ou plus. À une extrémité de la caserne se trouvent des installations sanitaires rudimentaires avec douche, deux toilettes et deux lavabos. La salle est divisée en plusieurs compartiments par de grandes toiles suspendues, chacun se composant d’environ quatre lits superposés.

Rachid et moi sommes affectés dans un compartiment où il y a encore des places disponibles. Les quatre ou cinq personnes présentes nous accueillent. Je leur donne deux pizzas. Malheureusement, j’avais déjà donné trois pizzas aux gardiens pour nous assurer de leur bonne grâce. C’était un peu prématuré, car nos nouveaux « collègues » sont au moins aussi importants que les gardes. Comme il est d’usage dans les pays arabes, nous sommes reçus avec du thé. Dans notre compartiment il y a un vieux réfrigérateur, une télévision, une plaque de cuisson électrique et deux ventilateurs. Les lits superposés inférieurs sont munis de rideaux en tissu pour assurer un minimum d’intimité. Il y a aussi un dépôt de légumes avec tomates, oignons et piments.

Avant d’entrer dans le compartiment, on doit enlever chaussures et sandales. La cour devant le hangar est ouverte pendant la journée et les prisonniers s’y assoient. Ils ont planté quelques arbres et du maïs, mais les arbres sont encore très petits et ne fournissent pas d’ombre. Les autres détenus sont agréables jusqu’à présent, certains parlent même l’anglais. Bien sûr, on nous demande immédiatement pourquoi nous sommes ici. C’est ce que j’aimerais bien savoir !

Nous devons tous nous ranger en ligne de cinq pour être comptés. Nous sommes 44, et 5 sont apparemment au travail. On nous montre le magasin de la prison où on peut acheter à crédit et je prends du savon. Plus tard, nous pourrons aussi aller au café. Le café a un goût terrible, mais peu importe. De retour dans le hangar, nous mangeons avec nos nouveaux amis ce que les parents tunisiens de Rachid nous ont apporté : couscous, riz aux amandes et aux raisins avec du poisson et du poulet. Rachid a aussi reçu des vêtements et des draps. Les parents de Rachid savent comment ça fonctionne en prison. Heureusement, j’avais déjà reçu ma brosse à dents, ma serviette et des vêtements neufs au palais de justice. À minuit, les lumières s’éteignent, mais certains prisonniers ont leurs propres lampes, et la télévision continue de fonctionner. Je n’arrive pas à dormir profondément, je me réveille tout le temps.

Clan Kadhafi

Mouammar Kadhafi, né à Syrte en 1942, est arrivé au pouvoir le 1er septembre 1969 par un coup d’État militaire sans effusion de sang. En tant que dirigeant révolutionnaire, il a déterminé la politique libyenne de manière dictatoriale. Kadhafi a également sécurisé son pouvoir en interne grâce à un système de distribution des retraites économiques basé sur les recettes d’exportation du pétrole et du gaz naturel. En outre, il a instrumentalisé et politisé les tribus selon le principe du « diviser pour mieux régner ».

Les huit enfants de Kadhafi

Mohamad : Né en 1970. Fils unique du premier mariage de Kadhafi. Il a étudié l’informatique, dirigé le Comité olympique libyen et aurait été propriétaire des deux sociétés libyennes de téléphonie mobile Libyana et Al Madar. Il a également présidé l’entreprise publique des postes et télécommunications.

Saïf al-Islam : né en 1972, a étudié l’architecture à Tripoli et le management pendant plusieurs années dans une université privée à Vienne. En 2002, il a commencé ses études à la London School of Economics and Political Science. Il possédait plusieurs sociétés actives dans les secteurs de l’économie et des médias. En 1999, il a créé la Fondation pour le développement, par l’intermédiaire de laquelle il a également joué le rôle de médiateur entre les gouvernements étrangers et son père en tant que Ministre libyen du développement. Il était considéré, avec Mutassim, comme un successeur possible de son père.

Saadi : Né en 1973, il a fréquenté une académie militaire libyenne, où il a obtenu le grade de colonel. Dans les années 1990, il a dirigé une brigade d’élite qui a combattu les islamistes et aurait commandé les Forces Spéciales à partir de 2006. Il a dirigé la Fédération libyenne de football et a joué dans l’équipe italienne de football Perugia Calcio. Il a fait fortune dans l’industrie pétrolière et comme producteur de films.

Mutassim : Né en 1974, était lieutenant-colonel dans l’armée libyenne. Après avoir fomenté un plan pour renverser son père, il s’est enfui en Égypte. Lorsque Kadhafi lui a pardonné, il est retourné en Libye et est devenu chef de la garde présidentielle. Il est censé avoir été Président du Conseil de sécurité nationale. Lui et Saïf al-Islam ont fait figure de successeurs potentiels de leur père.

Hannibal : Né en 1975, il a attiré l’attention en 2004 lorsqu’il a parcouru les Champs-Elysées à Paris en voiture à 140 km/h. Hannibal Kadhafi aurait occupé un poste de commandement militaire dans la région de Benghazi depuis 2007.

Saïf al-Arab : Né en 1982. En Allemagne, il est entré en conflit avec la loi à plusieurs reprises, notamment lors d’infractions au code de la route, de contrebande d’armes et de blessures corporelles.

Khamis : Né en 1983. Comme ses frères Saadi et Mutassim, on pense qu’il s’est lancé dans une carrière au sein des forces de sécurité.

Aïcha : Née en 1976, fille unique de Kadhafi. Elle est avocate et a rejoint le groupe juridique de Saddam Hussein en 2004. En 2009, elle a été nommée Ambassadrice honoraire du Programme des Nations Unies pour le développement.

(Source : Wikipédia).


Nom changé.

Nom changé.

Nom changé.